Lettre aux sectes qui me poignardent lâchement dans le dos
Quand j’ai lancé mon concept, « Pièces détachées – Lectures sauvages »,
j’étais à mille lieues d’imaginer que cette initiative prendrait aussi
vite auprès de pans entiers du public. En même temps, j’étais loin de
subodorer qu’elle allait aussi me coûter tant d’inimitiés ; des
mésententes, des « mésinterprétations » des plus hargneuses qui
pouvaient aller jusqu’à l’hostilité au point de donner lieu à toute
sorte de coups bas et autres coups fourrés.
J’aurais entendu de tout à ce propos, et le plus souvent par le canal
du « tagtaâ », cette activité hautement prisée, ce sport national qui
est en passe de surclasser le football. Mais je me dois aussi de
reconnaître que j’ai eu quelques joutes honorables avec des personnes
qui avaient le courage de leurs idées, et qui eurent la classe de me
cracher à la figure leurs griefs. C’est le cas notamment d’une
spectatrice qui était présente à la lecture de Tipaza, et qui m’a
interpellé par écrit (en prenant le soin de diffuser ce même texte
auprès de ses réseaux pour démasquer, croit-elle, ce salaud de
Benfodil). C’est le cas aussi de mon ami Nabil du RAJ dont j’ai
apprécié l’honnêteté intellectuelle et politique.
Par égard aux nombreux soutiens que j’ai reçus après l’incident de
Tipaza, et par respect aux personnes qui m’ont gratifié de leur
confiance et de leur amitié, mais aussi par souci de m’inscrire dans
une culture du débat et de l’échange, fussent-ils les plus vifs et les
plus passionnés, j’ai résolu de m’expliquer sur certains points qui
m’ont été reprochés, et qui alimentent les cancans du « Trou » et
autres bars cogitatifs.
1-Premier reproche : il se dit que j’ai cautionné le Panaf’, que ma première lecture qui s’est tenue à la Safex, précisément à l’expo « Les Africaines », « kanat m’khayta », était dûment organisée, et que j’avais reçu toutes les autorisations nécessaires pour y faire mon show. Faux ! Je persiste et je signe : ma lecture à cette expo s’est faite par effraction pure. Et celui ou celle qui détient une autorisation écrite n’a qu’à la produire. Comment peut-on imaginer une seconde une autorité quelconque veillant sur le bon déroulement du Panaf’ autoriser un fou à lire un texte comme le « Manifeste du Chkoupisme » où je martèle clairement :
La place naturelle de l’intellectuel est dans l’opposition.
La place naturelle de l’Anartiste est dans la clandestinité.
Il faut installer un climat insurrectionnel dans le pays.
Un climat d’instabilité positive.
Il faut une opposition armée pour faire partir ce régime.
Ou une révolution populaire.
Il faut organiser une grande marche populaire.
Il faut interdire au ministère de l’Intérieur d’interdire d’occuper la rue.
Il faut interdire le ministère de l’Intérieur.
Il faut se réapproprier la rue, seule arène de démocratie véritable.
La vraie bataille, c’est dans la rue.
La rue, c’est le maquis urbain, le terreau de l’agitation citoyenne.
La rue, c’est la contestation à la portée de tous, c’est le maquis pour tous.
La rue, c’est le Parlement populaire.
La rue, c’est le Parlement suprême.
Il faut isoler les chiens de garde du pouvoir.
Les Anartistes doivent agir par actions commando. Il faut un commando culturel. Un commando de tapageurs et de gais tagueurs. Il faut surprendre l’opinion publique par du spectaculaire. De l’événementiel. Il faut faire de l’activisme artistique un happening événementiel.
Il faut réanimer la société aux électrochocs.
Il faut une guérilla culturelle.
Il faut réinjecter de la provoque dans le corps social, réveiller les cellules dormantes : partis interdits, presse bâillonnée, mouvements essoufflés, journaux suspendus, idéaux moisis, films censurés, livres pilonnés, pamphlets saisis, dissidents proscrits, leaders emprisonnés, procès-verbaux détruits, sites Internet bloqués, forums fermés, associations dissoutes, tracts dissimulés, syndicats sous scellés.
Il faut faire buguer le Système.
Nous décrétons le 5 octobre Journée Nationale de la Colère.
Et ça, ça a été dit et clamé et déclamé haut et fort par mes soins, et
bien plus encore, ce que je publie là n’étant qu’un extrait du
Manifeste, que j’ai lu dans son intégralité, les présents peuvent en
témoigner.
Comment peut-on imaginer une seconde les autorités du Panaf’, Khalida
Toumi en tête, laisser faire une lecture-performance dont l’auteur
passe son temps à flinguer le régime ! A l’appui de mes dires, voici un
extrait d’un article paru dans El Watan du 23 avril 2009 sous le titre
: « Ministres impopulaires : les reverra-t-on » ? (mon titre était : «
Pourquoi ils doivent partir). Voilà ce que j’écris noir sur blanc sur
Madame la ministre de la Culture :
« Khalida Toumi. Ministre de la Culture (Au gouvernement depuis 2001)
Cette ancienne militante féministe et ancienne députée RCD est l’alibi
« moderniste » et la vitrine « chic » de l’équipe de Bouteflika. Que
lui reprocher ? D’abord la « folklorisation » de la culture,
s’inscrivant en droite ligne de la vision « populiste », qu’a son chef
putatif de la chose culturelle. Mais la flétrissure suprême endossée
par KMT, c’est le fait d’avoir cautionné la censure et l’atteinte à la
liberté de pensée et de création. En témoigne l’affaire du livre de
Mohamed Benchicou, Journal d’un homme libre, saisi à l’imprimerie par
la police, un abus qu’elle a publiquement revendiqué. Citons également
le scandale récurrent du Salon international du livre, où moult titres
sont interdits à chaque édition, ou encore le nombre de films qui n’ont
pas bénéficié de visa d’exploitation. Rappelons aussi l’affaire du
limogeage du directeur de la BN, Amine Zaoui, un acte qu’elle a
pleinement couvert. Khalida Toumi aura, pour le reste, utilisé le canal
de la culture pour soigner l’image d’un régime goujat, mobilisant les
grands noms de la culture algérienne pour servir la « diplomatie des
paillettes » de Bouteflika. »
Je vous renvoie également à mon livre « Dilem Président – Biographie
d’un émeutier » qui est en soi une salve libertaire, à telle enseigne
qu’aucun éditeur n’a eu les couilles de le sortir. Il est diffusé un
peu partout sur Internet.
Je peux vous renvoyer au texte que j’ai écrit lorsque j’ai reçu le prix
El Khabar 2008 avec mon confrère Bouâlem Ghomrassa où j’ai dénoncé
d’avance le 3ème mandat, le coup d’état constitutionnel du 12 novembre
2008, et où j’ai exprimé ma fervente solidarité à Mohamed Benchicou et
tous les confrères emmerdés par la « bouteflicaille ». Extrait : « Je
ne manquerais évidemment pas d'exprimer également mon entière
solidarité avec un géant de la presse algérienne, un grand journaliste
et écrivain, à la plume flamboyante, qui a payé au prix fort son
attachement à la liberté : je pense bien sûr à Mohamed Benchicou dont
le livre « Journal d'un homme libre » vient d'être interdit de la plus
vile des manières, digne des pires républiques barbouzardes. Et
j'aimerais dire à l'instigatrice de cette triste machination : honte à
vous, Madame la Ministre, vous qui vous conduisez en pathétique «
boutefliquette », en vous chargeant d'une besogne qui ne sied guère au
temple des lettres et des arts dont vous êtes censée être la gardienne
bienveillante et non la sinistre préposée à la censure. »
Maintenant, revenons au Panaf’ lui-même. Question : à qui appartient le Panaf’ en tant que « marque déposée » ? Mon humble réponse est qu’il appartient à 69, aux mouvements des décolonisations, au FLN historique, quand Alger était la capitale mondiale de la Révolution. Et il est de notre devoir, intellectuels, artistes, journalistes, peuple tout court, de faire en sorte que le Panaf’ revienne au peuple. Que l’argent du pétrole serve à nous faire rencontrer des artistes, écrivains, créatifs africains, why not ? Que les Algériens découvrent leur dimension africaine et se frottent aux cultures du continent en y laissant un peu de leur racisme naïf, why not ? Et puis, franchement : ils étaient combien, de mes chers détracteurs, au concert d’Amazigh Kateb ? Allez dire à Amaz’ que c’est un vendu parce qu’il a chanté au Panaf’. Allez le dire à Khaled, à Cheb Billal, à Lotfi Double Canon, à Raïna Raï. Moi je me réclame de cette culture-là, et je le dis et je le redis : je m’inscris dans la « Pop Littérature » et ma démarche est tout à fait conforme à la modeste idée que je me fais de la culture avec un grand CUL.
2- Deuxième reproche : Il paraît que « skant fel Watan » et que j’ai détourné le journal où je bosse pour faire mon « autopromotion ». Si seulement mon frère Smaïn, chef de la rubrique culturelle, pouvait parler putain ! Si vous saviez le nombre d’activités que je fais, et dont je n’ai jamais parlé, au nom de cette même « éthique tatillonne » qui fait s’émouvoir quelques âmes frétillantes découvrant au dernier quart d’heure que Benfodil squatte El Watan, et n’oublient pas, honte à eux, que Bouteflika a squatté l’Algérie entière, avec son Parlement, son ENTV, son APS, ses 70 journaux (sur 75), ses murs, ses graffitis, et j’en passe ! Mais quand un type s’exprime comme écrivain, autrement dit quelqu’un dont le boulot est de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, on crie au scandale et on invoque l’objectivité. Toz âla votre objectivité de mes deux ! Vous savez tous, pertinemment, à quel point la grande majorité des espaces médiatiques sont devenus chiches de courage. Que l’opinion sache que des consoeurs et des confrères ont reçu instruction « de ne pas couvrir Mustapha Benfodil ». Je comprends parfaitement les contraintes idéologiques, esthétiques, épistémologiques et cognitives de nos rédactions et ne les blâme pas. Sachez que c’est en raison même de ces carences que j’ai été sollicité – et je dis bien sollicité – pour dire deux mots sur mes lectures en l’absence d’une couverture en bonne et due forme. Est-ce ma faute si un manager éditorial a vu le truc venir et a jugé que « Pièces détachées – Lectures sauvages » était un concept qui valait la peine d’être porté à la connaissance des Algériens, sinon comme initiative intéressante, à tout le moins comme événement culturel qui méritât quelque entrefilet dans les pages culture comme n’importe quel autre événement ?
3-La piètre qualité des lectures et le « ridicule » de ma prestation :
Oui, je l’admets : je lis très très mal. Je me demande comment j’ai
survécu à cette honte. Mais depuis quand un auteur – à moins qu’il
n’ait une formation de comédien – se confond avec « acteur » ? Ce qu’il
y a, en bref, est que je comptais sur l’aimable collaboration d’un
comédien pour étrenner ces lectures. Mon ami était pris sur un
tournage, et je ne pouvais pas atermoyer le cycle plus que ça. J’ai
décidé alors de me prendre en charge tout seul, comme un taré, en me
disant que cela faisait intégralement partie du concept en ce que le «
burlesque » même de ma prestation était une dénonciation en soi de la
difficulté à faire du théâtre en Algérie. Le théâtre appelle la
conjugaison de plusieurs métiers artistiques (auteurs, metteurs en
scène, scénographes, comédiens, créateurs lumière, costumiers,
décorateurs, musiciens, chorégraphes…), et si on attend que tout ce
beau monde soit de la partie pour monter quelque chose, vous risquez de
vous morfondre bien longtemps. Je suis donc parti de l’idée que, le
fait même que je lise mal – malgré toute ma bonne volonté – était une
manière d’évoquer ma « solitude dramatique » (sans jeu de mots). Ceci
pour l’aspect artistique et sa dimension « expérimentale ». Maintenant,
il y a l’aspect politique et citoyen qui me paraît le plus important,
et sur cela, j’ai beaucoup de mal à pardonner à « La Secte » sa
mauvaise foi crasse. On peut me reprocher tout ce qu’on veut, mais il y
a un fait, empirique, vérifiable, tangible : j’ai réellement occupé
l’espace, ce n’est pas de la fiction. Et ce n’est pas du théâtre. Et ce
n’est pas de l’exhibition. Ce n’est pas un striptease. Ce n’est pas un
événement « mondain » comme l’a pensé une spectatrice, que les gravats
de la Maison Hantée lui pardonnent. C’est du « dmig », de l’action
directe, une vraie action commando, quoi que vous en pensiez. Si
maintenant les gens considèrent que l’état d’urgence est une
coquetterie, que le « bouteflico-zerhounisme » est cool, que le DRS est
sympa, que les RG sont partis à la plage, et que la « bouteflicaille »
est en week-end toute la semaine, je veux bien jeter un coup d’œil sur
leur cécité. Putain mais tout est dit dans « Lectures sauvages ». C’est
comme « grève sauvage »…Et je le dis dans le « Manifeste du Chkoupisme
» qui plus est :
Les Anartistes doivent prendre linguistiquement le pouvoir et défaire les récits officiels.
Il faut occuper esthétiquement le territoire. Il faut occuper plastiquement, visuellement, la ville.
Il faut faire sensation par des interventions choquantes : envahissements de terrains, grèves sauvages, émeutes ponctuelles, barricades. Il faut émouvoir, frapper, étonner, surprendre. Le peuple somnole, il faut le bombarder avec des messages violents.
Cette dimension citoyenne de mon action a été totalement ignorée,
occultée, snobée par « La Secte ». Pour ces gens-là, « Mus fait du
tahridj », pour sa « petite gloire personnelle ». Pourtant, mes pièces
sont jouées à l’étranger, mes textes sont diffusés, commentés, étudiés
par de grands noms de la critique littéraire, et j’ai des canaux
d’expression nettement plus confortables qu’une carcasse hantée ou un
hangar désaffecté. Mais ce n’est pas pareil. Et cela n’a surtout pas la
même portée politique. C’est cela qui a échappé à leur appareil
esthético-normatif.
De trois choses l’une : ou mes détracteurs manquent cruellement de
lucidité, ou qu’ils n’ont aucune culture politique, ou alors qu’ils
sont sous l’empire d’une trop forte subjectivité pour manquer à ce
point de discernement.
4-Mon lieu de résidence. Il paraît qu’il y a une carte d’Alger en
circulation en ce moment qui affecte un « coefficient de révoltabilité
» et de « bravoure politique » par quartier. Il se dit de moi que « Mus
s’est embourgeoisé », « comment peut-on parler révolution quand on
habite l’ancien foyer universitaire du Telemly » ? C’est vrai que Me
Ali Yahia Abdennour est un vendu à partir du moment où il habite
Boulevard Bougara, qu’Ait Ahmed est le pire des traîtres puisqu’il
habite Genève, et que Fellag s’est aristocratisé depuis qu’il fait
exploser les salles parisiennes. Je ne sais même pas si je dois aborder
cette question sous l’angle sociologique ou bien sous l’angle «
populiste ». Réflexion faite, je vais m’en tenir à la même méthodologie
: les faits. Je suis né à Relizane, dans l’ouest de l’Algérie, en 1968.
Mon père était garde-forestier. Il est mort en 1976 à l’âge de 42 ans.
De 1976 à 2005, j’ai vécu à Boufarik. En 1994, alors que je faisais mes
débuts dans la presse, un journaliste de l’APS a été assassiné à deux
pas de chez moi. Des copains ont pensé que c’était moi. Le PAGS m’a
alors évacué d’autorité et pris sous son aile. J’ai passé un mois dans
les locaux du PAGS au Telemly, sous la protection du défunt El Hachemi
Chérif – paix à son âme. Le 30 novembre 1994, je prends mon baluchon et
décide de rentrer chez moi. Je prends le train du soir, le dernier.
J’étais absorbé dans la lecture d’un livre, et quand le train était
arrivé en gare, j’étais encore dans le livre. Je descends le dernier,
j’étais à la queue du train. A peine le pied sur le quai que trois
terroristes se réclamant du GIA m’apostrophent. Ils m’ont traîné vers
un verger attenant à la gare et m’ont torturé. Ce sont des coups de feu
de l’armée qui les ont fait fuir, autrement, je ne sais pas si je
serais là aujourd’hui encore. Je ne veux pas jouer au héros, mais juste
dire que j’ai habité Boufarik du début au…retour du terrorisme. Le
lendemain de cette affaire, j’ai repris mon travail au Soir d’Algérie
le plus normalement du monde. J’ai couvert le terrorisme de bout en
bout, j’ai couvert les événements de Kabylie, j’ai fait deux fois
l’Irak, et j’ai soutenu sans compter toutes les causes justes, du mieux
que je pouvais.
Ah, un dernier détail : je suis un simple locataire au Telemly, je n’ai
pas de logement AADL ni de prêt bancaire ni ammar Bouzouar. Et pour
ceux qui le souhaitent, je suis prêt à produire ma fiche de paie. Le
Telemly, c’est juste parce que, au bout de 20 ans de vadrouille,
j’étais fatigué de rentrer tous les soirs à Boufarik à minuit, 1h du
matin. Et puis, si j’habite ce quartier, c’est surtout grâce à un ami
qui m’a fait un prix par « respect à mes neurones » comme il disait.
C’étaient là quelques éclaircissements jetés en vrac pour livrer ma version des choses. En outre, un livre est en préparation sur l’expérience de « Pièces détachées… » et les différentes réceptions auxquelles ce cycle a donné et DONNERA lieu puisque ça va continuer, envers et contre tout. Il y a également un film qui est en train de se faire là-dessus avec mon ami le cinéaste Lamine Ammar-Khodja (auteur de « Le Serment des Oranges » sur Aziz Chouaki). Un blog sera consacré enfin à l’ensemble de ces débats.
Alger – tout le monde le sait – est organisée en « sectes », mais moi
je ne me réclame que d’une seule chapelle : celle du travail. Je ne
suis pas en bons termes avec Allah, mais j’aime bien ce hadith qui dit
: « man ijtahada wa assaba fa lahou ajrani, wa man idjtahada wa akhtaa,
fa lahou adjroun wahidoun ».
C’est la seule indulgence que je quémande.
Tout ce que j’ai voulu dire aux Algériens, c’est : « YES YOU CAN » !
Mustapha Benfodil
Alger le 19 août 2009