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mustaphabenfodil

19 août 2009

Lettre aux sectes qui me poignardent lâchement dans le dos

Quand j’ai lancé mon concept, « Pièces détachées – Lectures sauvages », j’étais à mille lieues d’imaginer que cette initiative prendrait aussi vite auprès de pans entiers du public. En même temps, j’étais loin de subodorer qu’elle allait aussi me coûter tant d’inimitiés ; des mésententes, des « mésinterprétations » des plus hargneuses qui pouvaient aller jusqu’à l’hostilité au point de donner lieu à toute sorte de coups bas et autres coups fourrés.
J’aurais entendu de tout à ce propos, et le plus souvent par le canal du « tagtaâ », cette activité hautement prisée, ce sport national qui est en passe de surclasser le football. Mais je me dois aussi de reconnaître que j’ai eu quelques joutes honorables avec des personnes qui avaient le courage de leurs idées, et qui eurent la classe de me cracher à la figure leurs griefs. C’est le cas notamment d’une spectatrice qui était présente à la lecture de Tipaza, et qui m’a interpellé par écrit (en prenant le soin de diffuser ce même texte auprès de ses réseaux pour démasquer, croit-elle, ce salaud de Benfodil). C’est le cas aussi de mon ami Nabil du RAJ dont j’ai apprécié l’honnêteté intellectuelle et politique.
Par égard aux nombreux soutiens que j’ai reçus après l’incident de Tipaza, et par respect aux personnes qui m’ont gratifié de leur confiance et de leur amitié, mais aussi par souci de m’inscrire dans une culture du débat et de l’échange, fussent-ils les plus vifs et les plus passionnés, j’ai résolu de m’expliquer sur certains points qui m’ont été reprochés, et qui alimentent les cancans du « Trou » et autres bars cogitatifs.

1-Premier reproche : il se dit que j’ai cautionné le Panaf’, que ma première lecture qui s’est tenue à la Safex, précisément à l’expo « Les Africaines », « kanat m’khayta », était dûment organisée, et que j’avais reçu toutes les autorisations nécessaires pour y faire mon show. Faux ! Je persiste et je signe : ma lecture à cette expo s’est faite par effraction pure. Et celui ou celle qui détient une autorisation écrite n’a qu’à la produire. Comment peut-on imaginer une seconde une autorité quelconque veillant sur le bon déroulement du Panaf’ autoriser un fou à lire un texte comme le « Manifeste du Chkoupisme » où je martèle clairement :

   La place naturelle de l’intellectuel est dans l’opposition.

   La place naturelle de l’Anartiste est dans la clandestinité.

   Il faut installer un climat insurrectionnel dans le pays.

   Un climat d’instabilité positive.

   Il faut une opposition armée pour faire partir ce régime.

   Ou une révolution populaire.

   Il faut organiser une grande marche populaire.

   Il faut interdire au ministère de l’Intérieur d’interdire d’occuper la rue.

   Il faut interdire le ministère de l’Intérieur.

   Il faut se réapproprier la rue, seule arène de démocratie véritable. 

   La vraie bataille, c’est dans la rue.

   La rue, c’est le maquis urbain, le terreau de l’agitation citoyenne.

   La rue, c’est la contestation à la portée de tous, c’est le maquis pour tous.

   La rue, c’est le Parlement populaire.

   La rue, c’est le Parlement suprême.

   Il faut isoler les chiens de garde du pouvoir.

Les Anartistes doivent agir par actions commando. Il faut un commando culturel. Un commando de tapageurs et de gais tagueurs. Il faut surprendre l’opinion publique par du spectaculaire. De l’événementiel. Il faut faire de l’activisme artistique un happening événementiel.

   Il faut réanimer la société aux électrochocs.   

   Il faut une guérilla culturelle.

Il faut réinjecter de la provoque dans le corps social, réveiller les cellules dormantes : partis interdits, presse bâillonnée, mouvements essoufflés, journaux suspendus, idéaux moisis, films censurés, livres pilonnés, pamphlets saisis, dissidents proscrits, leaders emprisonnés, procès-verbaux détruits, sites Internet bloqués, forums fermés, associations dissoutes, tracts dissimulés, syndicats sous scellés.

   Il faut faire buguer le Système.

   Nous décrétons le 5 octobre Journée Nationale de la Colère.

Et ça, ça a été dit et clamé et déclamé haut et fort par mes soins, et bien plus encore, ce que je publie là n’étant qu’un extrait du Manifeste, que j’ai lu dans son intégralité, les présents peuvent en témoigner.
Comment peut-on imaginer une seconde les autorités du Panaf’, Khalida Toumi en tête, laisser faire une lecture-performance dont l’auteur passe son temps à flinguer le régime ! A l’appui de mes dires, voici un extrait d’un article paru dans El Watan du 23 avril 2009 sous le titre : « Ministres impopulaires : les reverra-t-on » ? (mon titre était : « Pourquoi ils doivent partir). Voilà ce que j’écris noir sur blanc sur Madame la ministre de la Culture :
« Khalida Toumi. Ministre de la Culture (Au gouvernement depuis 2001)
Cette ancienne militante féministe et ancienne députée RCD est l’alibi « moderniste » et la vitrine « chic » de l’équipe de Bouteflika. Que lui reprocher ? D’abord la « folklorisation » de la culture, s’inscrivant en droite ligne de la vision « populiste », qu’a son chef putatif de la chose culturelle. Mais la flétrissure suprême endossée par KMT, c’est le fait d’avoir cautionné la censure et l’atteinte à la liberté de pensée et de création. En témoigne l’affaire du livre de Mohamed Benchicou, Journal d’un homme libre, saisi à l’imprimerie par la police, un abus qu’elle a publiquement revendiqué. Citons également le scandale récurrent du Salon international du livre, où moult titres sont interdits à chaque édition, ou encore le nombre de films qui n’ont pas bénéficié de visa d’exploitation. Rappelons aussi l’affaire du limogeage du directeur de la BN, Amine Zaoui, un acte qu’elle a pleinement couvert. Khalida Toumi aura, pour le reste, utilisé le canal de la culture pour soigner l’image d’un régime goujat, mobilisant les grands noms de la culture algérienne pour servir la « diplomatie des paillettes » de Bouteflika. »
Je vous renvoie également à mon livre « Dilem Président – Biographie d’un émeutier » qui est en soi une salve libertaire, à telle enseigne qu’aucun éditeur n’a eu les couilles de le sortir. Il est diffusé un peu partout sur Internet.
Je peux vous renvoyer au texte que j’ai écrit lorsque j’ai reçu le prix El Khabar 2008 avec mon confrère Bouâlem Ghomrassa où j’ai dénoncé d’avance le 3ème mandat, le coup d’état constitutionnel du 12 novembre 2008, et où j’ai exprimé ma fervente solidarité à Mohamed Benchicou et tous les confrères emmerdés par la « bouteflicaille ». Extrait : « Je ne manquerais évidemment pas d'exprimer également mon entière solidarité avec un géant de la presse algérienne, un grand journaliste et écrivain, à la plume flamboyante, qui a payé au prix fort son attachement à la liberté : je pense bien sûr à Mohamed Benchicou dont le livre « Journal d'un homme libre » vient d'être interdit de la plus vile des manières, digne des pires républiques barbouzardes. Et j'aimerais dire à l'instigatrice de cette triste machination : honte à vous, Madame la Ministre, vous qui vous conduisez en pathétique « boutefliquette », en vous chargeant d'une besogne qui ne sied guère au temple des lettres et des arts dont vous êtes censée être la gardienne bienveillante et non la sinistre préposée à la censure. »

Maintenant, revenons au Panaf’ lui-même. Question : à qui appartient le Panaf’ en tant que « marque déposée » ? Mon humble réponse est qu’il appartient à 69, aux mouvements des décolonisations, au FLN historique, quand Alger était la capitale mondiale de la Révolution. Et il est de notre devoir, intellectuels, artistes, journalistes, peuple tout court, de faire en sorte que le Panaf’ revienne au peuple. Que l’argent du pétrole serve à nous faire rencontrer des artistes, écrivains, créatifs africains, why not ? Que les Algériens découvrent leur dimension africaine et se frottent aux cultures du continent en y laissant un peu de leur racisme naïf, why not ? Et puis, franchement : ils étaient combien, de mes chers détracteurs, au concert d’Amazigh Kateb ? Allez dire à Amaz’ que c’est un vendu parce qu’il a chanté au Panaf’. Allez le dire à Khaled, à Cheb Billal, à Lotfi Double Canon, à Raïna Raï. Moi je me réclame de cette culture-là, et je le dis et je le redis : je m’inscris dans la « Pop Littérature » et ma démarche est tout à fait conforme à la modeste idée que je me fais de la culture avec un grand CUL.

2- Deuxième reproche : Il paraît que « skant fel Watan » et que j’ai détourné le journal où je bosse pour faire mon « autopromotion ». Si seulement mon frère Smaïn, chef de la rubrique culturelle, pouvait parler putain ! Si vous saviez le nombre d’activités que je fais, et dont je n’ai jamais parlé, au nom de cette même « éthique tatillonne » qui fait s’émouvoir quelques âmes frétillantes découvrant au dernier quart d’heure que Benfodil squatte El Watan, et n’oublient pas, honte à eux, que Bouteflika a squatté l’Algérie entière, avec son Parlement, son ENTV, son APS, ses 70 journaux (sur 75), ses murs, ses graffitis, et j’en passe ! Mais quand un type s’exprime comme écrivain, autrement dit quelqu’un dont le boulot est de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, on crie au scandale et on invoque l’objectivité. Toz âla votre objectivité de mes deux ! Vous savez tous, pertinemment, à quel point la grande majorité des espaces médiatiques sont devenus chiches de courage. Que l’opinion sache que des consoeurs et des confrères ont reçu instruction « de ne pas couvrir Mustapha Benfodil ». Je comprends parfaitement les contraintes idéologiques, esthétiques, épistémologiques et cognitives de nos rédactions et ne les blâme pas. Sachez que c’est en raison même de ces carences que j’ai été sollicité – et je dis bien sollicité – pour dire deux mots sur mes lectures en l’absence d’une couverture en bonne et due forme. Est-ce ma faute si un manager éditorial a vu le truc venir et a jugé que « Pièces détachées – Lectures sauvages » était un concept qui valait la peine d’être porté à la connaissance des Algériens, sinon comme initiative intéressante, à tout le moins comme événement culturel qui méritât quelque entrefilet dans les pages culture comme n’importe quel autre événement ?

3-La piètre qualité des lectures et le « ridicule » de ma prestation :
Oui, je l’admets : je lis très très mal. Je me demande comment j’ai survécu à cette honte. Mais depuis quand un auteur – à moins qu’il n’ait une formation de comédien – se confond avec « acteur » ? Ce qu’il y a, en bref, est que je comptais sur l’aimable collaboration d’un comédien pour étrenner ces lectures. Mon ami était pris sur un tournage, et je ne pouvais pas atermoyer le cycle plus que ça. J’ai décidé alors de me prendre en charge tout seul, comme un taré, en me disant que cela faisait intégralement partie du concept en ce que le « burlesque » même de ma prestation était une dénonciation en soi de la difficulté à faire du théâtre en Algérie. Le théâtre appelle la conjugaison de plusieurs métiers artistiques (auteurs, metteurs en scène, scénographes, comédiens, créateurs lumière, costumiers, décorateurs, musiciens, chorégraphes…), et si on attend que tout ce beau monde soit de la partie pour monter quelque chose, vous risquez de vous morfondre bien longtemps. Je suis donc parti de l’idée que, le fait même que je lise mal – malgré toute ma bonne volonté – était une manière d’évoquer ma « solitude dramatique » (sans jeu de mots). Ceci pour l’aspect artistique et sa dimension « expérimentale ». Maintenant, il y a l’aspect politique et citoyen qui me paraît le plus important, et sur cela, j’ai beaucoup de mal à pardonner à « La Secte » sa mauvaise foi crasse. On peut me reprocher tout ce qu’on veut, mais il y a un fait, empirique, vérifiable, tangible : j’ai réellement occupé l’espace, ce n’est pas de la fiction. Et ce n’est pas du théâtre. Et ce n’est pas de l’exhibition. Ce n’est pas un striptease. Ce n’est pas un événement « mondain » comme l’a pensé une spectatrice, que les gravats de la Maison Hantée lui pardonnent. C’est du « dmig », de l’action directe, une vraie action commando, quoi que vous en pensiez. Si maintenant les gens considèrent que l’état d’urgence est une coquetterie, que le « bouteflico-zerhounisme » est cool, que le DRS est sympa, que les RG sont partis à la plage, et que la « bouteflicaille » est en week-end toute la semaine, je veux bien jeter un coup d’œil sur leur cécité. Putain mais tout est dit dans « Lectures sauvages ». C’est comme « grève sauvage »…Et je le dis dans le « Manifeste du Chkoupisme » qui plus est :

   Les Anartistes doivent prendre linguistiquement le pouvoir et défaire les récits officiels.

   Il faut occuper esthétiquement le territoire. Il faut occuper plastiquement, visuellement, la ville.

Il faut faire sensation par des interventions choquantes : envahissements de terrains, grèves sauvages, émeutes ponctuelles, barricades. Il faut émouvoir, frapper, étonner, surprendre. Le peuple somnole, il faut le bombarder avec des messages violents.



Cette dimension citoyenne de mon action a été totalement ignorée, occultée, snobée par « La Secte ». Pour ces gens-là, « Mus fait du tahridj », pour sa « petite gloire personnelle ». Pourtant, mes pièces sont jouées à l’étranger, mes textes sont diffusés, commentés, étudiés par de grands noms de la critique littéraire, et j’ai des canaux d’expression nettement plus confortables qu’une carcasse hantée ou un hangar désaffecté. Mais ce n’est pas pareil. Et cela n’a surtout pas la même portée politique. C’est cela qui a échappé à leur appareil esthético-normatif.
De trois choses l’une : ou mes détracteurs manquent cruellement de lucidité, ou qu’ils n’ont aucune culture politique, ou alors qu’ils sont sous l’empire d’une trop forte subjectivité pour manquer à ce point de discernement.

4-Mon lieu de résidence. Il paraît qu’il y a une carte d’Alger en circulation en ce moment qui affecte un « coefficient de révoltabilité » et de « bravoure politique » par quartier. Il se dit de moi que « Mus s’est embourgeoisé », « comment peut-on parler révolution quand on habite l’ancien foyer universitaire du Telemly » ? C’est vrai que Me Ali Yahia Abdennour est un vendu à partir du moment où il habite Boulevard Bougara, qu’Ait Ahmed est le pire des traîtres puisqu’il habite Genève, et que Fellag s’est aristocratisé depuis qu’il fait exploser les salles parisiennes. Je ne sais même pas si je dois aborder cette question sous l’angle sociologique ou bien sous l’angle « populiste ». Réflexion faite, je vais m’en tenir à la même méthodologie : les faits. Je suis né à Relizane, dans l’ouest de l’Algérie, en 1968. Mon père était garde-forestier. Il est mort en 1976 à l’âge de 42 ans. De 1976 à 2005, j’ai vécu à Boufarik. En 1994, alors que je faisais mes débuts dans la presse, un journaliste de l’APS a été assassiné à deux pas de chez moi. Des copains ont pensé que c’était moi. Le PAGS m’a alors évacué d’autorité et pris sous son aile. J’ai passé un mois dans les locaux du PAGS au Telemly, sous la protection du défunt El Hachemi Chérif – paix à son âme. Le 30 novembre 1994, je prends mon baluchon et décide de rentrer chez moi. Je prends le train du soir, le dernier. J’étais absorbé dans la lecture d’un livre, et quand le train était arrivé en gare, j’étais encore dans le livre. Je descends le dernier, j’étais à la queue du train. A peine le pied sur le quai que trois terroristes se réclamant du GIA m’apostrophent. Ils m’ont traîné vers un verger attenant à la gare et m’ont torturé. Ce sont des coups de feu de l’armée qui les ont fait fuir, autrement, je ne sais pas si je serais là aujourd’hui encore. Je ne veux pas jouer au héros, mais juste dire que j’ai habité Boufarik du début au…retour du terrorisme. Le lendemain de cette affaire, j’ai repris mon travail au Soir d’Algérie le plus normalement du monde. J’ai couvert le terrorisme de bout en bout, j’ai couvert les événements de Kabylie, j’ai fait deux fois l’Irak, et j’ai soutenu sans compter toutes les causes justes, du mieux que je pouvais.
Ah, un dernier détail : je suis un simple locataire au Telemly, je n’ai pas de logement AADL ni de prêt bancaire ni ammar Bouzouar. Et pour ceux qui le souhaitent, je suis prêt à produire ma fiche de paie. Le Telemly, c’est juste parce que, au bout de 20 ans de vadrouille, j’étais fatigué de rentrer tous les soirs à Boufarik à minuit, 1h du matin. Et puis, si j’habite ce quartier, c’est surtout grâce à un ami qui m’a fait un prix par « respect à mes neurones » comme il disait.

C’étaient là quelques éclaircissements jetés en vrac pour livrer ma version des choses. En outre, un livre est en préparation sur l’expérience de « Pièces détachées… » et les différentes réceptions auxquelles ce cycle a donné et DONNERA lieu puisque ça va continuer, envers et contre tout. Il y a également un film qui est en train de se faire là-dessus avec mon ami le cinéaste Lamine Ammar-Khodja (auteur de « Le Serment des Oranges » sur Aziz Chouaki). Un blog sera consacré enfin à l’ensemble de ces débats.

Alger – tout le monde le sait – est organisée en « sectes », mais moi je ne me réclame que d’une seule chapelle : celle du travail. Je ne suis pas en bons termes avec Allah, mais j’aime bien ce hadith qui dit : « man ijtahada wa assaba fa lahou ajrani, wa man idjtahada wa akhtaa, fa lahou adjroun wahid_DSC0427oun ».
C’est la seule indulgence que je quémande.

Tout ce que j’ai voulu dire aux Algériens, c’est : « YES YOU CAN » !

Mustapha Benfodil
Alger le 19 août 2009

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18 août 2009

Cherche flic pour lecture citoyenne à Tipaza…

Lecture_Tipaza_Benfodil

« Tu sentiras derrière toi toute la gendarmerie, toute l’armée,

toute la force publique pesant sur ton cerveau d’un poids incalculable »

Flaubert à Maupassant

 

J’ai lancé depuis quelque temps un cycle de lectures théâtrales sous le concept « Pièces détachées – Lectures sauvages ». L’idée est simple : investir de nouveaux territoires pour y injecter un peu d’imagination par de l’action artistique ; sortir la littérature des livres et des lieux convenus et la jeter dans la rue ; affranchir le théâtre de la bureaucratie anti-créationnelle et donner à entendre des textes dramatiques dans des conditions minimales de représentation ; des textes qui ont très peu de chances, on l’imagine, d’être joués dans les théâtres institutionnels. Et il est aisé de deviner la dimension politique de ce cycle et sa portée « citoyenne » en ce qu’il se veut une modeste manière de ma part d’occuper le terrain, de conquérir l’espace public et de prendre la parole en toute liberté, clandestinement, sans autorisation, sans préalable ni préavis, dans la simplicité et la spontanéité du partage. Au nom de l’état d’urgence, de la déraison d’Etat, du « tchoukir d’Etat », de la « BOUTEFLICAILLE » et du « bouteflico-zerhounisme », la rue nous est confisquée depuis maintenant 17 ans, et à Alger, l’espace public est particulièrement « rationné » depuis la marche épique du 14 juin 2001. Pour « donquichottesque » qu’elle soit, l’initiative n’en aspire pas moins à aller à la conquête d’espaces divers, qu’ils soient populaires ou « underground », et d’y reprendre la parole par le théâtre, en somme, de réapprendre à être citoyens à part entière, en Algériens libres et indépendants depuis 1962, en rejetant le principe d’être confinés dans des « réserves culturelles » contrôlées par le pouvoir politique et policier et tenaillées par la police des corps et des esprits. Oui, sortir la littérature à l’air libre et libérer le théâtre de ses tréteaux placés sous surveillance, voilà le mot d’ordre.

Trois lectures se sont tenues jusqu’à présent sous ce concept, la première, le 15 juillet dernier, à

la Safex

, où j’ai fait une lecture-performance par effraction au sein de l’expo Les Africaines ; la seconde, le 6 août, à la « Maison Hantée » de Bologhine qui a drainé pas mal de monde. La troisième a eu lieu jeudi dernier, 13 août, au site romain de Tipaza. Malheureusement, cette dernière lecture a été, par deux fois, interrompue.

 

Shakespeare expliqué à un divisionnaire

Les faits : j’ai pris place à hauteur de la fontaine romaine située à quelques encablures du théâtre antique avec un groupe de spectateurs : des jeunes, des journalistes, des professeurs – dont l’illustre critique littéraire Christiane Chaulet-Achour –, des étudiants, des artistes, des militants associatifs, des badauds. J’avais entamé ma lecture (avec, au menu, des scènes de ma dernière pièce Les Borgnes ou Le Colonialisme intérieur brut) quand, au bout d’une demi-heure, deux agents de sécurité du site sont venus nous interrompre avec autorité. « Habssou koulache ! » intime l’un d’eux, « arrêtez tout ! », avant d’ajouter : « Taffi, taffi la camira » à l’adresse du cinéaste Lamine-Ammar Khodja qui filme ces lectures. Pendant ce temps, d’autres spectateurs continuaient d’affluer en demandant naïvement au personnel du site « win el masrahia », « où se passe la représentation ? ». Les deux agents eux-mêmes ont reconnu que c’était cela qui les avait mis au parfum de cette opération. Ils me demandèrent si j’avais une autorisation. Naturellement, j’ai dit non. Ils me firent savoir alors que c’était quelque chose d’illégal et que j’aurais dû prendre attache avec la direction du musée de Tipaza. L’un d’eux me lança : « Mamnou takhtab fen’nass ». Je leur expliquai sereinement que ce n’était pas une « khotba » mais du théâtre. On finit par trouver calmement un terrain d’entente. Les deux hommes m’invitèrent simplement à changer de place. « Il ne faut pas vous mettre devant les ruines. Le site doit être dégagé afin que les visiteurs puissent en profiter » précisa l’un des agents avant de nous suggérer de nous mettre sous un arbre, en retrait. Les spectateurs se sont généreusement exécutés sans faire de vagues en échangeant quelques plaisanteries de bon aloi avec les deux agents de sécurité. L’un d’eux me fit : « Achouâra yahadrou bel alghaz », « les poètes parlent avec des énigmes », avant de nous abandonner à notre « énigmatique cabale ». Le public et moi-même prîmes cette péripétie avec philosophie en nous disant que cela faisait partie du concept et donnait du piment au spectacle qui, pour l’occasion, vira à la performance politique et prenait des airs de happening. Un quart d’heure ne s’était pas écoulé que trois policiers débarquèrent, revêtant l’uniforme des BMPJ. Ils me demandèrent d’emblée : « Qui est responsable de ce rassemblement ? Vous êtes une association ? » Je leur expliquai que je répondais seul de cette action. « Mamnouâ atadjamhour hna », « il est interdit de se rassembler et de réunir les gens comme ça » me signifièrent-ils. Un policier me demanda mes papiers. Il paraissait être de formation littéraire – ce qu’il me confirmera par la suite. Il saisit mon manuscrit ainsi qu’un exemplaire d’un livre édité, une autre pièce de théâtre intitulée « Clandestinopolis » et les examina d’un air absorbé en scrutant dialogues et didascalies. « C’est un récit ? » risqua-t-il. Je répondis que c’était du théâtre. « Ah ! Vous êtes un écrivain ! » finit-il par concéder. Son acolyte se montra sceptique ; il soupçonnait qu’il y ait du « tahridh » (incitation subversive) dans le texte. Il s’enquit de la composition de l’assistance et de la qualité des présents. Je le rassurai que nous n’étions pas des terroristes. Après m’avoir servi le sermon d’usage sur l’obligation de se munir d’une autorisation avant d’organiser pareil événement, les policiers me prièrent de les accompagner au poste. Ils m’embarquèrent ainsi en bonne et due forme, à bord d’un 4X4 de marque Soreno et m’emmenèrent droit au siège de la sûreté de wilaya de Tipaza. Chemin faisant, nous croisâmes un comédien de la fameuse émission « Lafhama » et les policiers de le couvrir de salutations enthousiastes. A la sûreté de wilaya, un officier au grade de commandant, probablement un commissaire divisionnaire, me reçut aimablement. Il m’invita d’entrée à lui livrer ma version des événements. Suite à quoi il me dit : « Ce n’est pas du tout comme ça qu’on m’a présenté les choses. Ce qu’on m’a rapporté est qu’il y avait quelqu’un qui parlait des ruines romaines à un groupe de visiteurs. Or, on ne peut pas laisser n’importe qui s’improviser guide sur ce site ! ». Il expertisa à son tour la pièce de théâtre qui prenait pour le coup, et sans jeu de mots facile, l’allure d’une « pièce à conviction ». Il s’attarda un peu sur le sous-titre qui semblait l’intriguer : « Le Colonialisme intérieur brut », avant de m’interroger sur le sujet de la pièce. Je me retrouvai ainsi dans une situation tragi-comique, à la fois cocasse et absurde, à faire la dramaturgie des Borgnes dans un commissariat de police. L’officier prit ensuite mes références : état civil, adresse, etc, et n’omit pas de noter le titre de la pièce. Il feuilleta également mon autre pièce, « Clandestinopolis ».

 

Un peu d’air frais dans la tête du régime

Autre chose qui le turlupinait : l’utilisation d’une caméra au cours de ma lecture. Cela résume toute la hantise que le régime algérien a de l’image. Je lui rétorquai que les satellites américains filmaient même nos sous-vêtements et sondaient nos pensées les plus intimes, ce qui le fit sourire. Ce petit interrogatoire fini, l’officier m’« autorisa » (le verbe-clé) enfin à reprendre ma lecture sans autre formalité. Sur ces entrefaites débarqua le chef de sûreté de wilaya en personne, vêtu en civil. Fort affable, il se fendit de quelques boutades bénignes avant de m’exhorter à quitter le site. En clair, il me recommandait, sur un ton qui se voulait amical, de renoncer à la suite de mon programme. On me fit comprendre que cela risquait de valoir des ennuis aux pauvres agents du site romain. Et c’est précisément pour ne pas « jouer avec leur pain » que je résolus d’obtempérer la mort dans l’âme. J’ai été touché d’apprendre que, pendant que j’étais à

la Sûreté

de wilaya, le public s’est emparé de cette « lecture sauvage » et a continué sans moi. C’est ainsi que, sur recommandation de mon amie Hedia Sédairia, une lecture du « Manifeste du chkoupisme » qui clôt mon roman, « Archéologie du chaos [amoureux] » a été donnée par la voix de l’admirable Nazim Bencheikh de l’association Le Souk.

Toujours est-il que le spectacle a été gâché pour une stupide histoire d’autorisation. Il me paraît proprement scandaleux d’exiger des Algériens un laissez-passer pour la moindre broutille. Cela dit toute la paranoïa d’un pouvoir terrorisé par son peuple au point de voir dans un simple éternuement une atteinte à l’ordre public. Si nous sommes toujours colonisés, qu’on nous le dise. Si l’Algérie est indépendante mais que les Algériens sont toujours occupés, qu’on nous en avise et on déclenchera un deuxième 5 octobre.

Je tiens à informer nos matons que « Pièces détachées… » se poursuivra, et je leur communiquerai le lieu, la date et l’heure de la prochaine lecture (probablement à Ain Defla) en temps voulu. Je me permets de chuter par ces mots d’une tribune « très » libre de Me Ali Yahia Abdennour parue récemment dans El Watan, et dans laquelle il écrit : « Il faut insuffler un peut d’air frais à un pouvoir qui étouffe parce qu’il maintient le statique mortifère qui est la même pièce de théâtre politique jouée par les mêmes acteurs. »

Justement : l’heure est venue de changer la pièce, le décor et les protagonistes…

 

Mustapha Benfodil, auteur.

Alger, 14 août 2009

 

NB : Le présent coup de gueule (que l’on pourrait appeler « Le Manifeste de Tipaza ») a été publié par El Watan dans son édition du dimanche 16 août 2009. Lire : http://www.elwatan.com/Cherche-flic-pour-lecture

 

 

 

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